Géolocaliser ses enfants : sécurité ou surveillance ? Enjeux juridiques, éthiques et sociologiques à connaître
La géolocalisation des enfants séduit de plus en plus de parents soucieux de sécurité, mais elle soulève aussi des risques juridiques et éthiques. Entre protection et surveillance, le cadre légal (RGPD, CNIL) et les enjeux sociologiques permettent de comprendre où placer la limite pour protéger sans enfermer.

« Protéger sans emprisonner » pourrait être la devise d’un parent prudent face aux nouveaux outils numériques.
Un contexte numérique et parental en mutation
Avec l’essor des objets connectés — montres, traceurs GPS, jeux et jouets connectés, smartphones — la géolocalisation d’enfants est devenue à la fois une tentation, un outil de parents inquiets, et un risque latent pour la vie privée et le développement de l’enfant. La CNIL rappelle les enjeux principaux : intrusion, autonomie, confiance, sécurité des données - CNIL
Le cadre légal et jurisprudentiel : ce qu’il faut savoir
Le RGPD, la loi Informatique et Libertés, et les recommandations de la CNIL
- La CNIL recommande de rechercher le consentement des deux parents pour les mineurs de moins de 15 ans lorsqu’il s’agit de traitements de données optionnels tels que la géolocalisation - CNIL
- Elle rappelle aussi que la géolocalisation permanente est intrusive, qu’il faut désactiver cette fonction quand elle n’est pas nécessaire, et favoriser des dispositifs moins intrusifs - CNIL
Jurisprudences nationales et européennes
- Affaire Uzun c. Allemagne (Cour européenne des droits de l’homme, 2010) : la CEDH a considéré que la surveillance par GPS, quand elle est systématique et prolongée, constitue une ingérence dans la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention, qui doit être proportionnée - Sénat
- Décision CNIL MED-2018-043 du 8 octobre 2018 : une entreprise ne peut conserver les données de géolocalisation pendant 13 mois à des fins de profilage et ciblage publicitaire, au motif que c’était disproportionné - Légifrance
- Un arrêt Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 octobre 2013 (n° 13-81.949) : la Cour a estimé que le contrôle des déplacements d’une personne suspectée (via géolocalisation téléphonique) constitue une atteinte à la vie privée dont la gravité exige un contrôle judiciaire - Dalloz Étudiant
Lacunes ou zones grises
- En France, aucune loi n’interdit formellement à un parent de placer un traceur GPS dans le sac de son enfant mineur. Mais les praticiens jugent que cela doit reposer sur un intérêt légitime, être justifié, proportionné, et dans la mesure du possible avec l’accord de l’enfant - Avocats Barreau Paris+1
- En cas de séparation des parents, l’accord des deux est souvent considéré nécessaire, en particulier si l’un des parents s’oppose - Avocats Barreau Paris
Cas concrets : presse, témoignages, usages réels
Témoignages récents en France
- Après le drame de Louise, 11 ans, retrouvée morte en Essonne, plusieurs parents témoignent avoir installé des systèmes de géolocalisation sur les téléphones de leurs enfants, pour se rassurer - France 3 Régions
- Exemple de la mère habitant Fouquebrune, qui dit : « Dès qu’ils ont eu un téléphone… j’ai installé l’application Family Link… pour les géolocaliser. » - CharenteLibre.fr
Dans les médias : entre alarme, banalisation et réflexion
- Reportage TF1 / JT sur « Sécurité des enfants : la géolocalisation pour rassurer les parents », qui signale que certains parents pratiquent la géolocalisation à l’insu de l’enfant, d’autres estiment que c’est “légal, mais…”. - TF1+
- Article du Charente Libre décrivant la tendance croissante chez des parents à utiliser des applications, montres ou traceurs, au nom de la sécurité familiale, mais en mettant en garde sur les usages excessifs ou sans dialogue - CharenteLibre.fr
Enjeux éthiques, sociologiques et moraux
Autonomie, confiance, développement psychologique
- Surprotection vs apprentissage : une surveillance constante peut entraver la capacité de l’enfant à évaluer les risques, à prendre des décisions, à développer son autonomie. La confiance parent-enfant peut être fragilisée. La CNIL le souligne - CNIL
- Effet sur le rapport à la vie privée : l’enfant apprend‐il à considérer la privacité comme normale si toujours suivi ? Risque de culpabilisation de la part de l’enfant (“Pourquoi ne veux-tu pas que je sache où tu es ?”), ou de sentiment d’être surveillé en permanence - CNIL
Vie privée, données, sécurité et exploitation
- Risques techniques : piratage, fuite, mauvaise sécurité des serveurs, usage inadéquat ou détourné des données de localisation - CNIL
- Durée de conservation, finalité du traitement : un usage publicitaire, profilage, ou conservation longue sans justification mettent en danger les droits fondamentaux. Exemple de la sanction de la CNIL pour conservation excessive - Légifrance
Morale et responsabilité parentale
- Responsabilité de choisir ce qui est nécessaire, proportionné, et transparent : informer l’enfant dès qu’il est en âge de comprendre, négocier les usages, poser des limites
- Devoir d’éthique dans le numérique : les parents, mais aussi les fabricants, fournisseurs de services, ont une responsabilité sociale dans le design et la mise en œuvre de ces dispositifs (sécurité, données, ergonomie, information)
- Sens sociologique : ce débat renvoie à une peur culturelle — peur de l’insécurité, peur de l’inconnu — mais aussi à la transformation des attentes parentales : hypervigilance, exigence de contrôle, parfois au détriment de la liberté individuelle de l’enfant
Bonnes pratiques : trouver un équilibre
Conclusion revisitée : vers une géolocalisation responsable
La géolocalisation des enfants se situe à la croisée de l’utile et du risqué. Elle peut être un outil précieux pour la sécurité, mais elle devient problématique lorsqu’elle devient la règle, la surveillance permanente et l’absence de consentement.
- Sur le plan juridique, les règles existent, mais ce sont souvent les pratiques, la transparence, la responsabilité et la conscience morale qui font la différence
- Sur le plan sociologique, on perçoit une tension : l’équilibre entre l’envie de protéger (et de se rassurer) et le besoin, pour l’enfant, d’être libre, respecté, autonome.
Moralement, l’enfant n’est pas un objet de contrôle : il est un sujet, qui mérite d’être traité avec confiance, respect, avec droits, avec voix.
Et rappelons-le : ce que nous imposons à un enfant, nous devons être capables de l’accepter pour nous-mêmes.
Accepterions-nous, adultes, d’être suivis en permanence, sans possibilité d’échapper au regard parental, conjugal ou professionnel ?
Si la réponse est non, alors pourquoi l’exiger d’un enfant ?
La vie privée ne se donne pas, elle se construit — avec soin, équilibre et responsabilité.